Janus by Elisabeth Vonarburg

Auteur:Elisabeth Vonarburg [Vonarburg, Elisabeth]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science-fiction
Éditeur: Denoël
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Le lendemain, tout est normal. Et tout est différent. Les Milès vont s’asseoir loin de Hilsh, comme d’habitude ; les tris continuent leurs disputes sous prétexte de discuter de la Synchronisation à venir… Personne ne parle de ce qui s’est passé la veille. Hilsh voudrait penser que ses compagnons ont peur, au moins : il les observe, attentif aux intonations, aux regards. Mais non : ils sont tranquilles. Ils sont certains qu’Ordo va résoudre le problème. Ils sont certains que tout est normal.

Et en effet, tout est normal ; c’est seulement Hilsh qui n’a pas utilisé son casque cette nuit. Un bref instant, il le regrette : il se sent si loin d’eux tous – même d’Ouré. Et après tout, comment savoir s’il a raison ? Comment se manifeste une malfonction, chez les hommes ? Il est peut-être fou sans le savoir.

Mais il n’est pas mécontent d’être dans le Vaisseau ! Il veut que le voyage continue, que les planètes lointaines soient colonisées, il ne ferait rien pour mettre en danger la vie de l’équipage ! Simplement il voudrait comprendre. Comprendre quoi, il ne le sait pas vraiment. Comprendre, en général. Il a l’impression persistante qu’il lui manque quelque chose. Il voudrait pouvoir interroger Ordo sur tout et n’importe quoi. Pourquoi n’est-ce pas permis ? Rien ne l’interdit, en fait, mais personne ne le fait jamais ; les autres ne posent pas de questions, ou rarement, quand ils y sont forcés par les événements – et encore. Est-ce une condition du bien-être dans le Vaisseau, du bon fonctionnement de l’équipage ? Comment l’ignorance peut-elle être bonne, de toute façon ?

Il y pense encore en préparant la salle d’étude pour la première synchronisation. Cette fois, tous les fauteuils seront activés. Sauf les siens. Toujours ce vide, ce déséquilibre à cause de lui… Il regarde les dis et les tris s’endormir, il observe les visages détendus, si semblables, plus semblables qu’ils ne l’ont jamais été. D’abord la régression hypnotique pour les dis : ils ont vingt-cinq, vingt, quinze cycles ; puis, derrière les paupières, dans ces cerveaux couplés deux par deux, passent les mêmes sensations, les mêmes perceptions : toute la vie de chacun des dis, enregistrée par les senseurs omniprésents d’Ordo. Pour la première séance, aujourd’hui, c’est leur propre synchro qui se rejoue pour eux, la synchro avec ceux qui sont aujourd’hui les primes. Ou plutôt, non : ils la revivent ; chaque incident suscite les mêmes réactions, les mêmes modifications électrochimiques appelées sentiments, mais cette fois elles ont lieu dans deux corps en même temps. (Ou dans le même corps ?) Au réveil, les adolescents auront fini d’être différents. Ce sera d’abord à peine perceptible, mais de plus en plus vite leurs expressions, leurs gestes, tout leur comportement va se modeler sur celui de leur version plus âgée. Jusqu’au jour où les dis deviendront les primes. Dans cinq cycles, triOuré prendra la place de diOuré, diOuré prendra la place de… Non, il sera Ouré. Semblable en tout point au Ouré de Hilsh.

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